Joanna Lorho

Ce vieux pote.

Juin 2014

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J’ai arrêté les études sans fanfare.
En une semaine c’était bouclé, j’avais pris mes profs en tête à tête pour leur dire pourquoi je partais et ils ne m’ont pas tellement retenue, je l’ai annoncé au téléphone à mes parents plutôt réticents, mais conscients que ça n’était pas un conseil que je leur demandais. Déjà je les tenais au courant !
J’ai pris plus d’heures au café, j’ai déménagé et j’ai acheté un gsm.
C’était en mars 2006. Un an et trois mois avant le diplôme.
Et la journée, je me suis mise tant bien que mal à avancer sur Kijé, avec une collaboratrice à l’époque, Juliette.
Au passage ça ressemblait à ça :




À l’époque je l’ai vécu comme si je me délestais de quelque chose, si c’était Kijé le projet qui me bottait, je n’avais pas besoin de venir à l’école pour bosser sur des exercices qui m’emmerdaient pas mal et, quitte à devoir bosser derrière un bar de toutes façons, autant gérer mon temps libre comme je l’entendais.
Vu d’ici je me dis que ça aurait été super chouette d’avoir le temps d’être étudiant.
Bref.
Et puis petit à petit les choses se sont tissées, j’ai réduit mes heures au café contre des petites expériences en animation, je continuais de bosser la journée sur Kijé et le soir dans un bar, j’ai accepté une série de jobs, parfois c’était chouette, d’autres fois c’était horrible. Ces boulots qui n’avaient rien à voir avec ma pratique avaient au moins l’avantage de procurer un sentiment de satisfaction qui était "aujourd’hui, j’ai accompli quelque chose". Je me sentais plus compétente à encadrer des vieilles planches de bd où à repeindre des murs, qu’à tenter de faire avancer mon film. J’ai fait cohabiter dans la même journée des cours de piano, des heures de gravure, des heures au resto et des heures d’atelier, et dans ces heures d’atelier, j’ai mélangé Kijé, des projets de bd et des projets d’édition alternative...J’ai même commencé à enseigner.
Cumuler et travailler dans le chaos, c’est épuisant mais ça fait passer le temps et ça évite de se poser trop de questions.
Mais 8 ans...C’est long quand même...
Ces derniers mois, le filet s’est réduit, l’emploi du temps s’est éclairci, Kijé a fait le vide autour de lui car il se termine.
Pour la première fois il m’a captée toute entière. Et maintenant il laisse un trou béant.
J’ai l’impression de ressentir aujourd’hui ce que j’aurai pu ressentir si j’étais sortie diplômée de quelque part...Avec les rides en plus.
Et je n’ai pas l’impression de mieux me connaître, je ne sais toujours pas où sont mes forces.
Et cette question assez désagréable qui est "Et maintenant...quoi ?"
Ca pourrait être excitant, mais ça n’est pas dans mon tempérament. L’envie de faire des choses cohabite toujours avec un vieux doute.
Ce vieux pote.
Je sais ce que je voudrais. Retourner 8 ans en arrière. Le temps que m’a pris Kijé me laisse avec le sentiment d’avoir été flouée.
Tout ça pour ça ?

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